La vérité est que le roi est nu. « L’État a un rôle plus grand à jouer », explique pourtant au Figaro le conseiller de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino. Déjà, lors de ses vœux, le président avait assuré de sa mission protectrice. Mais l’État-providence, vers lequel veut revenir le pouvoir confronté à la crise, est sur la paille. Les crédits qu’il déverse, ces jours-ci, sont aussi volatils que ceux qui ont conduit à l’effondrement du capitalisme financier. N’y a-t-il pas d’autres voies que celles qui mènent directement aux faillites ?
La nécessaire mise en cause des mécanismes de spéculation et du « laisser-fairisme », qui reposaient sur de la fausse monnaie, sert de prétexte pour dresser, une fois de plus, le procès du libéralisme. La droite n’est pas en reste quand elle défend le retour à l’interventionnisme. Sarkozy, qui prend les banquiers comme boucs émissaires, demande même à l’UMP d’utiliser le «  vocabulaire du travailleur  ». Éric Besson, venu du PS pour rejoindre le parti présidentiel, dit qu’il se sent « bien dans la majorité ».
 Or ce nouveau glissement à gauche, qui espère conjurer le mécontentement des gens, cautionne une autre illusion : celle de l’État-mamma. Mathieu Laine le remarque (Post politique, J.-C. Lattès) : « La politique n’a plus aucune marge de manœuvre financière. Il ne peut tout simplement plus, matériellement, nous sauver (…) Il n’y avait plus d’argent, comment en trouver encore ?  » La majorité ne voit-elle pas que la bulle socialiste a éclaté pour avoir, un peu comme Wall Street, vendu du vide ?
Cette tentation du pouvoir de revenir en arrière, outre qu’elle rend moins lisible le réformisme du chef de l’État, en vient à conforter le conservatisme des « progressistes », qui se replongent dans Marx et Mao. Plus de 20 000 signatures ont rejoint « l’Appel des appels » qui dénonce les « lois « naturelles » du marché ». La grève de jeudi a été majoritairement celle de salariés assurés de leur emploi et qui défendent des services publics dégradés. Mais ce monde-là ne peut plus prétendre être un modèle.
C’est faire injure aux Français de les croire incapables de comprendre les deux crises systémiques (celle du tout étatisme, celle de l’ultracapitalisme) qui accélèrent l’affaiblissement du pays. L’État, qui n’a plus les moyens de ses ambitions, entretient inutilement la fiction de sa puissance. Ce faisant, il incite l’opposition à le rendre responsable d' » injustices » qui lui échappent. Pourquoi ne donne-t-il pas l’exemple de la lucidité, en se regardant dans la glace ?
« Idées rancies » Le défi immédiat est de penser le monde qui vient. Comme le note le sociologue Michel Maffesoli (Apocalypse, CNRS Éditions) : « ll est vain de vouloir rafistoler les idéologies élaborées aux XVIIIe et XIXe siècles, et dont nous fûmes, dans tous les sens du terme, irradiés. Oui, il faut bousculer les idées rancies, rejeter les analyses apprêtées et quelque peu maussades. En bref, se dessiller les yeux. » Ce n’est pas le chemin que suit la droite quand, faute d’idées neuves, elle repart sur les traces de la gauche passéiste. L’ancien président du gouvernement espagnol, José Maria Aznar, paraît bien seul quand il déclare au Figaro : « Pour sortir de la crise, il faut plus de libéralisme. » François Fillon, qui accuse le PS de vouloir « réhabiliter le socialisme d’hier » à travers son contre-plan de relance, est-il bien sûr d’incarner, avec le lancement de grands travaux publics, une politique plus flexible, moins dispendieuse ?
Le gouvernement ne doit pas craindre un PS comateux et une extrême gauche exaltée, qui se croient tous deux porte-parole de la France légitimement angoissée. Le gauchisme tente de refourguer sa révolution et son communisme. Il prêche un mépris de l’Occident et un refus des démocraties, en faisant alliance avec un islamisme qui prêche la subversion. « Mon rêve serait que Sarkozy soit chassé par la rue », explique même le philosophe Alain Badiou, complaisamment promu gourou par Libération. Les socialistes, eux, gardent l’espoir de transformer le profond désarroi collectif en épreuve sociale. Mais ceux-là risquent surtout de s’éloigner un peu plus de la culture de gouvernement, en côtoyant un totalitarisme qui devrait être un repoussoir.
Plus que jamais, c’est la crise de l’intelligence (Bloc-notes du 9 janvier) qu’il s’agit de résoudre, en laissant émerger librement les aspirations et les comportements nouveaux. Il est faux de laisser croire que ceux-là seraient portés uniquement par les traditionnelles processions de syndicats non représentatifs et de partis qui croient tenir leur revanche contre Sarkozy. « Aujourd’hui, la France s’arrête », annonçait L’Humanité jeudi. En réalité, le pays inquiet a continué à travailler. Ces défilés sans mots d’ordre, qui s’accrochent à un monde ancien défendu aussi par Martine Aubry, sont ceux d’une France immobile, qui refuse d’admettre que rien ne sera plus comme avant. Mais les faits sont têtus. Ségolène Royal a d’ailleurs bien fait de prendre du recul, en préférant assister au Forum social de Belém (Brésil).
Décadence Ce n’est donc pas en donnant le sentiment de s’inspirer d’un socialisme doctrinaire et nostalgique que le gouvernement trouvera la meilleure issue à la crise. La nouvelle UMP, dont Nicolas Sarkozy vient de confier la gestion à Xavier Bertrand, saura-t-elle écouter et retranscrire sans tabous ce que disent vraiment les gens de leur vie, de leur pays, de leur culture ? Le politiquement correct, tout à son confort intellectuel, cherche à étouffer ces paroles dérangeantes. Pourtant, elles ne se résument pas à la seule défense du pouvoir d’achat et des services publics, comme voudrait le faire croire le discours plan-plan des faiseurs d’opinion. Les Français, évidemment soucieux de leur emploi, s’inquiètent plus gravement encore des nombreux symptômes annonciateurs d’une décadence de leur nation. C’est à cette population encore silencieuse, dont les fonctionnaires vont évidemment partie, qu’il faut aussi répondre. La gauche croit tenir encore le monopole des manifestations. Mais sur ce point aussi, elle pourrait bien se tromper.
Modernité En fait, le pays est prêt à amorcer son virage vers la modernité. Le « jeudi noir » annoncé, qui n’a mobilisé dans la grève qu’un quart des fonctionnaires et une infime minorité de salariés du privé, n’a pu paralyser les transports publics, grâce à l’efficacité du service minimum mis en place par le gouvernement. Pour autant, le porte-parole de l’UMP, Frédéric Lefebvre, a raison de vouloir sanctionner « l’abus du droit de grève  », tel que SUD-rail l’a dernièrement utilisé, gare Saint-Lazare. Les cris d’orfraie qui ont accueilli cette proposition voulaient faire comprendre qu’il ne fallait pas parler sur ce ton aux syndicats, même quand ils se moquent des usagers. Espérons que l’UMP ne reculera pas – ne reculera plus ? — devant la tyrannie de la bien-pensance.

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