Il est peu probable que Mahomet soit à nouveau caricaturé dans Charlie-Hebdo. « Dans l’immédiat, ce n’est pas prévu. L’islam n’est pas notre obsession », explique ce mercredi dans Le Parisien le nouveau patron de l’hebdomadaire, le dessinateur Riss, lui-même blessé à l’épaule lors de l’attentat du 7 janvier. Après sept semaines d’absence, Charlie ressort aujourd’hui sous le titre : « C’est reparti ! ». Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy, le pape, un djihadiste sont ridiculisés sous les traits d’une meute aboyante. Mais pas de turban, ni de prophète. Il n’est pas question d’en faire grief à une rédaction traumatisée. Ce grand blessé de guerre a payé le tribut de son impertinence, avec notamment les assassinats de Cabu, Wolinski, Tignous, Honoré, Bernard Maris, Charb, par les frères Kouachi. « A d’autres aussi maintenant de faire usage de la liberté d’expression », suggère Riss, qui a déjà une fatwa contre lui, lancée par un député pakistanais. Seuls René Pétillon et l’algérien Ali Delem ont osé rejoindre l’équipe décimée des dessinateurs, toujours menacés et plus protégés que jamais. La peur, compréhensible, est forcément omniprésente, même si elle n’est pas dite. Flemming Rose, qui fut à l’origine des premières caricatures danoises de Mahomet parues en 2006 dans le Jyllands-Posten, l’assume pour sa part, quand il reconnaît que son journal ne poursuivra plus dans cette voie (1) : « Nous devons dire que nous ne publions pas parce que nos avons peur ». Disons-le : le terrorisme islamiste a emporté une première victoire en imposant l’autocensure sur Mahomet. Cependant, aller plus loin dans l’accommodement et l’apaisement avec l’islam radical serait, pour la France, rendre les armes face à un totalitarisme. Le régime nazi savait lui aussi imposer cette même terreur. Il faut se souvenir, comme le rappelle Flemming Rose dans son livre dont rend compte Michèle Tribalat dans la dernière revue de l’Institut d’histoire sociale, que les violences suscitées par les caricatures danoises (singulièrement celle de Kurt Westergaard représentant le prophète avec une bombe dans son turban) avaient été tout sauf spontanées. Le monde musulman et l’Organisation de la conférence islamique (OCI) en tête, y avaient vu l’opportunité de faire avancer leur campagne contre le blasphème. La Commission des droits de l’homme de l’Onu y prêta son appui en recommandant aux Etats de « combattre et punir toute tentative visant à assimiler l’islam à la violence et au terrorisme ». L’Union européenne emboîta le pas, avec le commissaire aux affaires étrangères, Javier Solana, qui négocia avec l’OCI un accord appelant au bannissement de la diffamation des religions. Heureusement, des désaccords internes empêchèrent l’Europe d’être représentée au Qatar pour la signature (février 2006) de ce document avalisé par l’Espagne, la Turquie et Kofi Annan, secrétaire de l’ONU. Quand, mardi, le président d’honneur du Conseil français du culte musulman, Mohamed Moussaoui, reproche au président du Conseil représentatif des institutions juives de France, Roger Cukierman, d’avoir dit la veille que les islamistes qui prennent les juifs pour cibles sont des musulmans, c’est cette même dialectique du déni qui est appliquée. Elle vise à rendre l’islam intouchable et à réduire la liberté d’expression. Cette mise en scène d’une culpabilisation dans l’usage du mot juste est une autre forme d’intimidation, qui dépasse la seule caricature du prophète. Une démocratie digne de ce nom oblige chacun à résister à cet engrenage. (1) Réflexions sur The Tyranny of Silence, de Flemming Rose, par Michèle Tribalat, dans la revue Histoire et Liberté (numéro 56)

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