Le « modèle turc » se révèle être une imposture. Le soulèvement de la société laïque contre « l’islamisme modéré » du gouvernement de l’AKP est un camouflet pour tous les Occidentaux qui vantent la retenue démocratique de ce faux-nez. Alain Juppé fut de ceux-là, lorsqu’il dirigeait les Affaires étrangères. La contestation menée depuis six jours à Istambul, Ankara, Izmir et dans soixante autres villes, est la plus édifiante des réponses à ceux qui assurent que la Turquie est mûre pour entrer en Europe. Ce qui est dénoncé par les manifestants, très violemment réprimés par le pouvoir, est bel et bien la politique de réislamisation de la société, ce projet caressé par le premier ministre Recep Tayyip Erdogan, qui a entrepris depuis dix ans de mettre à bas l’héritage d’Atatürk. Au-delà du prétexte du réaménagement de la place Taksim, à Istambul, où le pouvoir projette d’y construire une mosquée et un centre commercial, c’est la dérive d’un état autoritaire qui est refusée par la partie occidentalisée de la population et par la communauté des Alévis (20 millions de personnes), ces descendants d’une branche du chiisme marginalisés par le régime. « l’islamisme modéré » du gouvernement turc est, en fait, une marche lente mais constante et désirée vers la régression théocratique, conjugée avec un libéralisme économique assumé. L’interdiction de la vente d’alcool, la multiplication des voiles dans l‘espace public, la réintroduction de la religion dans la politique, les atteintes à la liberté d’expression sont parmi les signes les plus voyants de l’islamisation en cours : un processus qui recueille une adhésion dans des milieux ruraux et populaires, où la charia reste souvent un idéal à atteindre. Récemment, le pianiste turc Fazil Say a été condamné pénalement par la justice pour blasphème. La Turquie, dont on oublie trop facilement qu’elle occupe une partie de l’Europe avec son coup de force à Chypre, est au 138 e rang (sur 178) dans le classement des pays qui respectent la liberté d’expression. Près de soixante-dix journalistes sont emprisonnés, tandis que la grande majorité des médias est sous le contrôle de conglomérats proches du gouvernement islamo-conservateur. C’est cet indéfendable « modèle turc » qui explose en vol. Non sans avoir abusé d’innombrables beaux esprits européens, fascinés par l’islam.

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