L’offensive des bons sentiments revient au galop, avec le gouvernement comme allié. Au nom de la lutte contre les discriminations des populations issues de l’immigration, le ministère de la Fonction publique a annoncé, mardi, le remplacement des épreuves de culture générale par « des questions de bons sens, en rapport avec la matière », pour les concours de fonctionnaires (André Santini, Le Figaro, lundi). Le multiculturalisme promeut donc la déculturation.
Le Conseil représentatif des associations noires (Cran), qui voit du racisme partout sauf dans son propre intitulé, se félicite de cette mesure qui veut mettre fin à un « académisme ridicule ». Son président, Patrick Lozès (1), rappelle qu’il l’avait suggérée à Santini dès août 2007, en dénonçant devant lui « l’élitisme contre-productif des concours administratifs ». Il s’était aussi étonné qu’un candidat de catégorie C (la moins qualifiée) soit interrogé sur La Princesse de Clèves : un argument repris, depuis, par le président de la République.
Résumons: sous la pression d’une minorité (le Cran) et avec l’aval de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde), le pouvoir va prochainement solder un peu de l’âme française. En effet, s’il est légitime de vouloir un service public « davantage à l’image de la population », l’abandon par l’État d’une exigence culturelle pour ses agents des catégories B et C dévoile symboliquement son acceptation d’une future nation amnésique, voire illettrée. « À quoi sert d’avoir une épreuve d’histoire pour les pompiers ? », questionne Santini. Seraient-ils inaptes face au savoir ?
La politique d’identité nationale et de civilisation, défendue par Nicolas Sarkozy, va évidemment à rebours de ce renoncement à faire partager une culture commune, dont les livres cimentent le langage. Pourquoi les immigrés d’aujourd’hui seraient-ils plus incapables que ceux d’hier ? Accéder aux demandes d’exemption des minorités, qui ne s’estimeraient pas concernées par un héritage vu parfois comme un néocolonialisme, ne peut que fragiliser le lien social.
Le Cran, tout à son combat ambigu pour la promotion des Noirs, n’a pas à influer sur le contenu des concours administratifs. La Halde n’a pas à se substituer à la communauté nationale. Celle-ci est en droit de sentir inquiète (voir mon blog) devant cet arasement qui accompagne la promotion de la diversité. Où est l’enrichissement promis, dans cette officialisation de la sous-culture ?
L’automate se profile Et qui défend la culture ? L’école la brade, l’administration y renonce. Le conformisme y voit une inégalité pénalisant les nouveaux Français. L’orthographe est déjà un signe d’arrogance. Même les classes sociales jadis « éclairées » commencent à lâcher prise. Un monde enténébré se prépare, si rien ne vient faire obstacle à l’assèchement des esprits. Il est aisé de déceler une régression vers la table rase, dans ces simplifications à outrance qui s’accompagnent d’une fascination pour l’image et le slogan. Dans le totalitarisme décrit par Orwell, la novlangue a pour but de « restreindre les limites de la pensée ». Son ombre se dessine, quand un pouvoir soutient, comme seuls critères de sélection, le savoir-faire et la maîtrise technique, vidés de toutes curiosités intellectuelles et d’ouvertures au monde. À quand l’automate ou l’homme cloné ?
Le politiquement correct est si bien assis (bloc-notes du 21 novembre) que peu de voix s’élèvent contre la « charte de l’égalité » pour les administrations, préalable à d’autres mises à l’encan au nom de la discrimination positive. Les médias, qui voient ces jours-ci des dérives liberticides et sécuritaires dans l’arrestation maladroite d’un journaliste de Libération et dans la pénalisation accrue de la délinquance des mineurs, restent muets devant ceux qui, brandissant l’égalité et l’antiracisme, font reculer les perspectives du « vivre ensemble » en communautarisant la société et en stigmatisant les contradicteurs. Éric Zemmour en fait l’expérience : il est la cible du Cran, du Mrap et de SOS-Racisme réunis. Ces organisations reprochent à mon confrère d’avoir, dans une récente émission télévisée, parlé de « race blanche » et de « race noire ». Le Cran, qui ethnicise sans vergogne ses revendications, menace de porter plainte pour l’utilisation de ces mots. Ainsi se comportent les nouveaux maîtres. Faudra-t-il supprimer l’article 1 er de la Constitution, qui fait référence aux races, aux origines et aux religions pour enjoindre le respect de l’égalité ?
Cesser la culpabilisation Une récurrente culpabilisation empêche la France de défendre sa culture. « Nous sommes les agresseurs », assure, par exemple, Emmanuel Todd (Après la démocratie, Gallimard) parlant de l’Occident face à l’Islam. Les familles des 28 victimes occidentales tuées dans les attentats islamistes (172 morts) contre les deux grands hôtels de Bombay et un centre juif apprécieront. Le démographe à la mode, qui critique aussi l' » exagération systématique du problème de l’immigration », assure que « la pratique religieuse des musulmans de France est faible ». Le Monde daté d’hier explique, pourtant, que près d’un tiers des musulmans de France va régulièrement à la mosquée et que le ministère de l’Intérieur recense 200 projets d’édifications supplémentaires. Non content de vouloir interdire des mots, les censeurs veulent nier des faits. Cela commence à faire beaucoup.
(1) J’ai participé à un débat sur ce thème avec Patrick Lozès, mercredi soir, en première partie de l’émission « Ce soir ou jamais », sur France 3.
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