Qui s’indigne du sort des chrétiens d’Orient ? Ni les musulmans, ni les juifs. Ni, surtout, les catholiques, y compris en France. Cette minorité est humiliée, persécutée parfois (Raphaël Delpard, La Persécution des chrétiens, Michel Lafon). Les chrétiens de Terre sainte, ce lieu qui les vit naître et prospérer 600 ans avant Mahomet, étaient encore 20 % au milieu du XX e siècle, 2 % aujourd’hui. La sublimation du martyre ne peut expliquer, chez leurs frères d’Occident, ce désintérêt pour le dépérissement de leur culture originelle. L’abandon ressemble, oui, à un renoncement.
La Jordanie modérée, première étape du Pape cette semaine, fait figure d’exception, en autorisant la communauté catholique à construire sur son sol des églises et une université. Mais la réciprocité est un leurre, dans la plupart des pays islamiques : ils refusent aux « infidèles » les droits, et plus encore, accordés aux musulmans en Occident. Au mieux, les parias restent dhimmis, sujets de second rang. Au pire, ils deviennent indésirables, sous la pression d’un renouveau du djihad.
À écouter les commentaires, Benoît XVI devrait inlassablement s’excuser : devant les musulmans, pour avoir évoqué, il y a trois ans à Ratisbonne, la violence de l’islam quand il se détache de la raison ; devant les juifs, par une accumulation de pénibles soupçons qui voudraient rendre le Pape, en dépit de ses convictions toujours réaffirmées, insensible à la Shoah et à l’antisémitisme. Pourquoi ne pas demander, plutôt, l’expression d’une solidarité sur le sort des chrétiens d’Orient, arabes pour la plupart ?
Le plus consternant demeure l’indifférence de l’Europe, confrontée à ce lent effacement des chrétiens, écartés par l’État hébreu lui-même de certains emplois ou formations supérieures (La Croix, 12 mai). L’apathie de l’Occident face à la christianophobie des fondamentalistes (qui s’exerce actuellement contre les Coptes d’Égypte, sous la pression des Frères musulmans) souligne un manque de solidarité. Il dit tout sur la vulnérabilité d’une civilisation qui, sauf en Israël, n’éprouve pas le besoin de se protéger d’une subversion.
Faudrait-il avoir honte de vouloir défendre, en Orient comme en Occident, la culture humaniste que porte le catholicisme ? C’est cette question que le Pape a posée en Jordanie, en demandant aux fidèles de « ne jamais oublier la grande dignité qui vient de votre héritage chrétien ». Il a rappelé, en terre d’islam, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, que les pays musulmans ont refusé dernièrement de cautionner à Genève (Durban II). Cet homme doux ne baisse pas les bras.
Dialogues de dupes Au prétexte que Benoît XVI a déclaré vouloir « favoriser la promotion d’une alliance des civilisations entre l’Occident et le monde musulman, mettant en échec la prédication de ceux qui considèrent comme inévitables la violence et les conflits », ceux qui récusent l’existence d’un choc des cultures y voient un soutien à leur déni. Mais qu’est-ce que le mur de séparation israélien, sinon l’expression hideuse d’un divorce ? Le Saint Père ne pouvait lancer autre chose qu’un appel à la paix, dont l’exemple de la Jordanie conciliante montre qu’il reste atteignable. Cependant, l’antisémitisme qui monte, conjugué à la christianophobie sont des symptômes qui n’autorisent pas l’angélisme.
L’alliance des civilisations est à espérer, quand s’étend l’ombre de la guerre. Cependant, le souci d’apaisement qui habite l’Occident pacifiste l’a conduit, jusqu’à présent, à donner beaucoup plus qu’il n’a reçu, au cours de « dialogues » de dupes. Aujourd’hui, le monde islamique a su convaincre l’Europe repentante de s’ouvrir au multiethnisme et au multiculturalisme, une solution que défend notamment l’habile Tariq Ramadan. Or un phénomène inverse de repliement identitaire et religieux s’opère parallèlement dans les pays musulmans. Cherchez l’erreur.
À quoi bon le nier ? Le ressentiment islamiste contre le monde libre est un fait. Cette semaine, par exemple, deux Français liés à al-Qaida, dont un converti, ont été soupçonnés par les Italiens d’avoir voulu préparer un attentat contre l’aéroport de Roissy. Ils avaient été arrêtés initialement dans une affaire d’infiltration de clandestins : un procédé dénoncé, mardi, par Silvio Berlusconi, pour qui ces arrivages massifs « ne sont pas le fruit du hasard mais résultent d’une stratégie délibérée de bandes criminelles (…) « .
L’offensive contre l’Occident perdure depuis le 11 septembre 2001. Voilà ce qu’écrit sous l’anonymat (Enyo) ce haut responsable du renseignement européen, déjà évoqué ici la semaine dernière : « Les Européens se rendent compte peu à peu que l’idéal néofondamentaliste est la source du mal, mais n’ont pas réalisé que l’heure de la guerre est arrivée (…) Le néofondamentalisme n’est pas une aberration de l’islam. Il en est un moment historique (…) Aux Occidentaux d’apprendre à se battre pour leurs idées universelles (…). » Mais « l’Europe de poltrons », que dénonce Ayaan Hirsi Ali, en est-elle capable ?
« Culture humaniste » En appelant, de Jordanie, l’Église en Terre sainte à affirmer « son témoignage public de respect vis-à-vis de la femme », Benoît XVI suggère une autre voie, autrement plus intelligente que celle de la guerre : l’émancipation de la femme musulmane. Puisse la défense d’une « vraie culture humaniste » se faire entendre en ces terres de miracles…
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