Que la France fatiguée en soit réduite à s’identifier à une équipe de football victorieuse n’est pas un bon signe. Certes, je me félicite du succès des Bleus, mardi soir face à l’Ukraine (3-0). Pour ma part (mais j’avoue être plus intéressé par la communion nationale que peuvent parfois générer ces rencontres que par le sport lui-même), j’ai surtout vu une équipe portée par un formidable public agitant d’innombrables drapeaux tricolores et reprenant La Marseillaise tout au long du match. Cependant, il ne faudrait pas demander à ces joueurs, souvent mal élevés et peu sympathiques, plus qu’ils ne sont capables de donner. A moins de considérer, ce qui semble être le cas, que nous n’aurions plus d’autres modèles ni d’autres symboles à notre disposition. Rien n’illustre mieux, malheureusement, la crise existentielle qui mine la nation que ce recours poussif au plus petit dénominateur commun qu’est le football. Dans Le Roi Lear, Shakespeare fait dire à un de ses personnages tout le mal qu’il pense, déjà au XVII e siècle, d’un « vil joueur de football » (« You base football player »). Or les voici promus au rang de héros intouchables. J’admets bien volontiers que la France ne va pas fort, y compris moralement. Je déplore la paresse intellectuelle qui s’est installée depuis plus de trente ans dans les débats labellisés, qui invitent chacun à penser la même chose sous peine de se faire taper sur les doigts. Je soutiens que la crise des idées, ouverte par la pesanteur du politiquement correct, rend les dirigeants incapables de répondre aux explosions d’une société civile excédée. Observer Jean-Marc Ayrault tenter d’éteindre dans l’urgence l’incendie du ras-le-bol fiscal en promettant le big-bang fiscal illustre la panique qui gagne le gouvernement, prêt à ajouter de l’huile sur le feu. Qu’a fait le PS de ses dix ans d’opposition sinon réciter ses mantras? La droite n’a guère été plus finaude. La France a besoin d’intellectuels et d’esprits libres, capables de donner un sens à une société déboussolée. C’est eux, et non des mercenaires du spectacle, qu’il faut promouvoir, en respectant bien davantage la liberté d’expression. La France doit sortir de son abrutissement organisé.

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