La « France silencieuse » ? Elle est devenue assourdissante. Grâce à Internet, les forums, blogs, tweets, s’emplissent de bruyantes doléances. À les lire, le pays exaspéré serait au bord de la révolte. Dans cette nouvelle démocratie anonyme et sans tabous, le meilleur se paye au prix du pire, avec ses rumeurs, injures, lynchages. Mais ces excès ne suffisent pas à rejeter le tout. Qui veut écouter le peuple ne peut qu’être frappé par son sentiment d’abandon et sa méfiance croissante à l’égard du monde politique. Ce fait ne peut être ignoré plus longtemps du gouvernement.
Cette libre expression bouleverse les codes médiatiques, trop souvent imprégnés de connivences et de réflexes politiquement corrects. Une visite des sites alternatifs permet de se convaincre du divorce entre le pays et ses représentants ou porte-voix. Ce rejet rend même ardu de mettre en garde contre l’esprit de meute qui peut rapidement gagner la foule (voir mon blog, sur l’affaire Frédéric Mitterrand). Mais cette colère, qui bondit au premier prétexte, est le symptôme d’un mal qu’il faut soigner.
La France veut-elle le Front national comme médecin ? Jamais il n’aura été autant suivi, y compris par les quadras du PS, dans ses dénonciations de Roman Polanski, Frédéric Mitterrand et de leurs soutiens. En plaçant le débat sur le moralisme, sans répugner pour autant à la chasse à l’homme, Marine Le Pen a sorti son parti de son isolement imposé. Or ce retour de l’extrême droite, dédiabolisée par des maîtres censeurs parlant soudainement comme elle, pourrait bien lui assurer son renouveau, si la droite devait s’en tenir à sa tambouille.
L’habileté politique de Nicolas Sarkozy n’est apparemment plus une réponse suffisante, quand la grogne envahit les nouveaux espaces publics, au point de déstabiliser des parlementaires trop consensuels. L’inutile taxe carbone, la choquante cagnotte contre l’absentéisme scolaire, l’incongru grand emprunt, la déroutante ouverture à gauche, la pipolisation d’un Mitterrand à la Culture, le coûteux procès Clearstream peuvent être vus comme les produits d’un cénacle indifférent aux besoins des gens.
Qu’on se comprenne bien : il ne s’agit pas d’attendre du pouvoir qu’il se plie aux certitudes volatiles de l’opinion, aux menaces des coupeurs de têtes ou aux caprices de l’agora, au prétexte de cajoler des électeurs orphelins. Mais au moins pourrait-il se mettre davantage à l’écoute de la société civile, afin de sortir la France de cette Démocratie d’apparence (titre d’un ouvrage collectif, Éd. François-Xavier de Guibert), qui produit toujours plus d’abstentions, de votes blancs et, désormais, de dangereux ressentiments.
L’inutile affaire Jean Sarkozy Est-il besoin pour la droite, dans ce contexte tendu, d’en rajouter dans l’incompréhension ? Ce n’est pas faire insulte aux qualités prêtées à Jean Sarkozy que de dire qu’il n’aurait très vraisemblablement jamais été choisi pour présider prochainement l’Établissement public de la Défense (Epad), premier quartier d’affaires européen, s’il n’avait été le fils du chef de l’État. Ce n’est pas pratiquer «  une nouvelle chasse à l’homme », comme le soutient le porte-parole du gouvernement, que de rappeler qu’à 23 ans et en deuxième année de droit, se voir confier un tel poste stratégique n’est concevable qu’en vertu d’un favoritisme initial que ne peuvent effacer ni les compétences ni la légitimité démocratique du jeune élu du conseil général des Hauts-de-Seine. Quand le président, présentant mardi sa réforme des lycées, explique : « Désormais, ce qui compte en France pour réussir, ce n’est plus d’être bien né, c’est travailler dur et avoir fait la preuve, par ses études, par son travail, de sa valeur », il ne peut exonérer son cadet de ces préceptes, sauf à prendre à la légère le sentiment d’injustice qu’a fait naître cette affaire inutile. Le cynisme serait la pire des réponses, même si Jean Sarkozy est dans sa logique quand il demande à être jugé sur ses actes. Le moment est trop mal choisi pour jeter de l’huile sur le feu.
Politique du verbe Autre chose encore : les soutiens de Jean Sarkozy voudraient-ils faire comprendre que son patronyme a pris valeur d’une marque de référence qu’ils ne s’y prendraient pas autrement. C’est un publicitaire, Christophe Lambert, ex-patron de Publicis, qui a mis sur orbite la trajectoire du fils. Mais le nom magique n’est-il pas, souvent, l’habillage d’une virtualité ? Le philosophe Robert Redeker en apporte une démonstration éclairante à propos du « Yes we can » de Barack H. Obama, qu’il dissèque dans un petit livre (Yes we can, Éditions Pleins Feux) qui sort fort à propos. C’est, en effet, son monde du verbe qui vient de valoir au président des États-Unis d’être récompensé du prix Nobel de la paix, qui ne repose sur aucun bilan tangible.
Pour Redeker, ce slogan obamanien témoigne « d’une porosité, d’une échangeabilité et d’une réversibilité du discours publicitaire et du discours politique ». Ce qu’il qualifie de « logo sonore planétaire » se révèle même plus vide qu’un slogan publicitaire, car il ne dit rien, ne signifie rien. L’expression compassionnelle se suffit à elle-même. En ce sens, Barack Obama et Harry Potter se rejoignent, ce dernier acquérant des pouvoirs par la magie de certains mots. Ainsi se créent les bulles qui dispensent d’affronter les réalités. Mais cet univers fictif ne sait résister à la brutalité des faits. La politique française est en train d’en faire l’expérience…

Partager cet article
S’abonner
Notifier de

0 Commentaires
le plus récent
le plus ancien
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires
0
Laisser un commentairex